• Farewell: Chapitre 4

    Les deux semaines qui suivirent purent se dérouler sans accroc. J'arrivais à me faire oublier et à éviter le groupe, bien qu'il se fasse de plus en plus présent. Mon nouveau calvaire quotidien se déroulait au mieux.

    Je n'arrivais pas à oublier Ashley – en fait, elle obsédait littéralement mes pensées –, mais j'avais pris la ferme résolution de ne me lier à personne, cela valait mieux pour tout le monde. J'avais malgré tous mes efforts sympathisé avec Edward – le blond, capitaine de l'équipe de football du lycée, qui m'avait permis d'entrer en salle d'Histoire le premier jour, j'avais appris son nom de la bouche de Thomas London –, qui m'avait proposé de me faire visiter le lycée, ce que j'avais refusé à contrecœur. Il faisait tout pour que je m'intègre, ce que j'essayais d'éviter le plus possible, mais il était difficile de repousser sa détermination à toute épreuve. J'allais devoir le trouver un moment seul, sans toute sa bande d'amis, pour lui dire qu'il ne fallait pas qu'il soit ami avec moi, pour sa sûreté.

    Les amis d'un agent secret, après sa mort, sont des témoins très gênants.

    La sonnerie me tira de mes pensées. Les professeurs ne m'interrogeaient plus, car ils avaient fini par comprendre que je ne donnerais jamais une réponse erronée, ce qui laissait tout le loisir à mon esprit de divaguer pendant leurs cours.

    Je sortis rapidement, comme à mon habitude, de la salle de Mme Jacket – professeure d'Anglais très autoritaire, ceux qui avaient osé se moquer de son nom s'étaient retrouvés convoqués chez le proviseur du lycée – pour me diriger vers le gymnase. Je pensais pouvoir parler à Edward après le cours d'Éducation Physique, la plupart des garçons de sa bande n'ayant pas ce cours en commun avec lui.

    Je ne regardais pas où j'allais, pensant que mon sens de l'orientation hors norme me guiderait au bon endroit sans que j'aie à chercher dans le dédale des couloirs que constituait le lycée. Je réfléchissais à quoi dire à Edward quand j'aurais l'occasion de lui parler tout en évitant les élèves dans le couloir, quand quelqu'un se heurta maladroitement à moi et lâcha ses livres du même mouvement.

    Je ne pris pas le temps de regarder qui m'avait percuté et m'excusai derechef en me baissant pour ramasser les livres.

     

    - Je suis désolé, excusez-moi ... dis-je poliment pour me faire pardonner.

     

    La personne bredouilla un « Désolé » à peine audible et commença à ramasser elle aussi les livres, bien qu'il n'en reste déjà que très peu. Je tendis la main vers le dernier livre pour le lui rendre mais la personne en question eut la même idée que moi, et nos doigts se frôlèrent sur la couverture plastifiée. Je tressaillis malgré moi et humai machinalement l'air. J'avais besoin de confirmer ma théorie sur l'identité de ce quelqu'un.

    Il me parvint une odeur diffuse de violette que j'aurais reconnue parmi toutes. Je relevai très lentement la tête, bien que je n'aie nul besoin de la vision pour reconnaître la personne qui se trouvait devant moi.

    Ashley avait le feu aux joues et le regard tourné vers ses chaussures.

    Je fus soudain saisi d'une impulsion d'en savoir plus sur elle si puissante que mes résolution faillirent flancher, mais je me retins au dernier moment de lui adresser la parole. Au lieu de ça, je lui lançai un regard des plus noirs, que l'on pouvait aisément deviner même sous les verres teintés des Ray-Ban, qui la fit tressaillir à son tour et elle se cacha le visage derrière ses cheveux. Je ne devais pas me lier à quiconque.

    Elle avait sans doute perçu mon brutal changement de comportement. Peu importait maintenant, je l'éloignerais de moi coûte que coûte, ainsi qu'Edward.

    Je lui tendis une pile de livres soigneusement empilés et continuai mon chemin vers le gymnase. Je ne pus toutefois m'empêcher de respirer une fois de plus – la dernière, me promis-je – son odeur restée sur le bout de mes doigts.

    Je me changeai dans les vestiaires déserts, car j'étais une fois de plus arrivé juste au début du cours, et sortis au moment où le professeur, Ian Campbell – un jeune suisse débordant de joie de vivre à peine plus âgé que ses élèves – annonçait que nous allions commencer le cycle de volleyball.

    Il fit deux équipes de filles et deux de garçons et nous laissa nous échauffer entre nous pendant qu'il écrivait au tableau blanc la situation de départ pour le match. Campbell avait mis Edward dans l'équipe adverse. Cela pimenterait au moins un peu le match à venir.

    Le très ancien gymnase rénové sans grand succès une ou deux fois était assez grand pour accueillir sans problème deux terrains de volleyball. Les filles jouaient sur le terrain de gauche, séparé de notre terrain uniquement par deux mètres de couloirs. Ceux qui avaient décidé la construction du gymnase ne devaient pas jouer au volley, car il arrivait très souvent que le ballon sorte du terrain sur lequel il est joué.

    Campbell siffla le début des matchs.

    L'équipe adverse avait évidemment choisi Edward pour commencer à servir. Il envoya la balle à une vitesse phénoménale en direction de l'arrière du terrain. Manque de chance pour lui, j'étais justement à l'arrière. Je rattrapai sans mal son service et passai la balle à mes coéquipiers qui la renvoyèrent de l'autre côté du filet, où deux garçons sautèrent en même temps pour la renvoyer, ce qui leur valut de se cogner et d'envoyer le ballon dans le filet.

    1 – 0 pour notre équipe.

    Je servis ensuite plusieurs fois, ce qui nous occasionna une confortable avance. Campbell, qui suivait de près notre match, me fit remplacer en me disant qu'il fallait laisser une chance à l'équipe adverse. Cela me fit sourire et je m'assis sur le banc des remplaçants.

    Sans moi, notre équipe perdit lamentablement son avance et se fit rattraper puis mener par l'équipe adverse.

    9 – 7 pour nos adversaires.

    Campbell me laissa alors rentrer dans le terrain. Cela redonna courage à toute l'équipe, à laquelle j'expliquai notre nouvelle stratégie. Sa mise en place fut maladroite mais nous marquâmes tout de même un point. J'étais maintenant au filet. Notre équipe récupérait le ballon pour servir tout juste quand Campbell annonça la dernière action pour les deux matchs. Notre dernière chance pour égaliser.

    Nos adversaires pensaient sûrement avoir déjà gagné et ils relâchèrent leur attention. La pression était palpable dans notre groupe quand le service passa au-dessus de nos têtes pour rejoindre l'autre moitié du terrain.

    Le numéro neuf adverse plongea sur le ballon pour l'envoyer en l'air et un garçon proche de lui l'envoya trop loin derrière notre filet pour que je puisse la rattraper. Mus par le désir féroce de gagner, nos numéros trois et quatre réussirent à le renvoyer maladroitement de l'autre côté, offrant une balle facile à qui voudrait la prendre.

    Quand notre équipe vit Edward sauter d'un air victorieux pour smasher, tous pensaient que c'était la fin du match. Tous, sauf moi. Je savais que je ne devais pas utiliser au maximum mes capacités sportives, mais je n'avais pu résister. Pour moi, le temps avait ralenti. Quand la balle amorça sa descente vers notre côté du terrain, je plongeai sur le côté à plus de deux mètres de haut pour la renvoyer à mes coéquipiers. Mais, dans le feu de l'action, un détail m'avait échappé. Le ballon descendait tout droit à gauche du terrain.

    Et Ashley se trouvait à l'extrême droite de son terrain. Juste dans ma ligne de vue.

    Je n'avais plus que deux solutions. Percuter de plein de fouet celle que j'essayai tant bien que mal d'éloigner de moi mais à qui je ne pouvais m'empêcher de penser, ou dévier ma trajectoire en heurtant de ce fait à pleine vitesse le poteau en acier inoxydable qui soutenait le filet. Ma décision fut vite prise et Ashley n'eut pas le temps de comprendre qu'elle venait d'échapper au minimum à deux semaines d'hôpital.

    Un poteau de volley ball mesure deux mètres quarante-trois chez les garçons et deux mètres vingt-quatre chez les filles. Il peut être en acier, mais est la plupart du temps recouvert de mousse pour éviter de se faire mal en se cognant à lui.

    Mais malheureusement pour moi, cette définition ne s'appliquait pas dans un gymnase miteux d'une ville perdue au fin fond de l'état de Washington.

    Mon épaule heurta le poteau d'acier et je retombai sans la moindre grâce au sol, mon articulation pliée dans une position tout sauf naturelle. Je me relevai péniblement en serrant les dents pour cacher ma douleur poignante tandis qu'une foule se massa autour de moi. Campbell se fraya un chemin parmi les élèves médusés, un téléphone portable à la main.

     

    - J'ai appelé l'hôpital, ils devraient arriver en ambulance dans les prochaines minutes. Quel est le numéro de chez toi ?

     

    Malgré son jeune âge, il avait tout de suite pris les choses en main. J'admirais son professionnalisme.

     

    - Je crois que ce ne sera pas la peine, dis-je avec un maigre sourire en voyant Royce, accompagné de deux brancardiers, franchir la porte du gymnase.

     

    Je dus m'évanouir car ma vision se troubla subitement, et je ne me rappelle de la suite des événements que quelques sons vagues et des formes imprécises.


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