• Jane: Chapitre 6

    Jane est assise sur un banc, plongée dans une lecture. Il fait froid mais les mots de son livre lui font oublier ces désagréments. Quelques coureurs matinaux, personnes promenant leur chien et des jeux d’enfants déserts. Ils dorment. Jane est absorbée dans les pages de son roman. Chaque phrase l’envoûte, elle s’approprie l’histoire, comme si le bouquin et elle ne faisaient plus qu’un. Elle oublie tout. La vulgarité des gens de son âge, leur futilité, leur mépris. Elle oublie ses parents, elle oublie le monde entier et la vermine qui l’habite. Rien ne compte plus que l’histoire qu’elle dévore, jusqu’à être repue de mots et de phrases emplies de beauté.

    Quand enfin elle a lu à satiété, elle observe le parc et les gens qui y sont. Jane adore le matin, la pluie et les livres. Elle aime être seule, totalement seule, avec de temps en temps des gens qui passent, perdus dans leurs pensées. Lorsque Jane est isolée, elle rêve, elle pense, elle oublie. Elle se sent libre de faire ce qu’elle veut. En présence de gens, il y a des règles. Il faut les écouter, leur répondre, les écouter à nouveau. Aucun moment pour rêver. Les samedi et dimanche matin, elle descend la ruelle où elle habite, en grelottant sous son épais manteau bleu nuit. Jane, souvent munie d’un livre, va dans le petit parc boisé aux sentiers boueux et à l’herbe haute. Elle aime les odeurs de rosée, de mousse qui a gardé la fraîcheur de la nuit, et celles de l’écorce mouillée qui l’assaillent dès qu’elle est entrée. Puis elle chemine lentement jusqu’à son banc habituel. Il arrive que des gens y soient déjà, mais cela ne lui fait rien. Une fois plongée dans son livre, rien d’autre n’existe.

    Ses cheveux roux se répandent sur les pages, et elle les replace derrière son oreille. Elle venait de terminer son roman lorsqu’une personne s’assied à coté d’elle. Jane est déjà loin, perdue dans ses pensées. Mais elle sent qu’on l’observe, et elle rompt son voyage intérieur pour le vérifier.

    Il est peut-être un peu plus vieux qu’elle. Il a une peau brune et des cheveux noirs d’encre. L’air rêveur lui aussi, et un regard perçant qui mettait n’importe qui à nu. Mais pas Jane. C’était une fille impénétrable. Le jeune homme se met à lui parler, d’une voix grave et douce à la fois. Il répond au prénom de Mehdi. Il lui déclare qu’il l’a souvent vue ici et qu’elle lui donnait envie de la connaître. Il ignorait pourquoi.

    « Je ne suis pas le genre de personne que les gens ont envie de connaître, répond simplement Jane.

    Mehdi la regarda longuement.

    - Je dois te paraître étrange. Si tu ne veux pas ce n’est pas grave.

    - Pas spécialement.

    Mehdi l’avait remarquée depuis longtemps et ce n’était pas réciproque.

    - Tu as quel âge ?

    - J’ai 15 ans. Et toi ?

    - 17.

    - Oh. Excuse-moi, il faut que j’y aille. Je suis sur le même banc chaque samedi et dimanche matin si tu veux.

    L’ombre d’un sourire passa sur le visage un peu disgracieux de Jane. Un vague sourire qui n’était apparu depuis pas mal de temps déjà.


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