• Farewell: Chapitre 6

    Je restai dans ma chambre réaménagée en hôpital miniature jusqu'à la fin de la semaine. Le temps me paraissait bien trop long. Cela n'était pas seulement dû au fait que je ne faisais que lire des livres que j'avais déjà lus plus d'une dizaine de fois.

    Le lycée me manquait. Ou plutôt, elle me manquait. Dès que je laissais mon esprit vagabonder – ce qui se produisait très fréquemment ces derniers temps, après que j'aie épuisé la bibliothèque de Royce –, son image m'apparaissait aussi claire que la première fois que je l'avais vue. J'avais en même temps une envie irrésistible de la voir, en même temps peur de sa réaction. Je ne pouvais pas l'inviter ici, je ne la connaissais que peu. Trop peu, pensai-je furtivement.

    J'écartai cette remarque de mon esprit. C'était bien mieux ainsi. Du moins, c'est ce que j'essayais de me faire croire depuis le début.

    Ressentir quelque chose est foncièrement différent de le voir décrit ou représenté, ainsi, je ne parvenais pas à mettre un nom sur ce que je ressentais à son égard, ni même sur le pincement de cœur qui me saisissait quand je pensais à elle avec ses amis. Une des seules choses que je ne possédais pas, et que je ne devais pas me permettre d'avoir. Je n'en savais d'ailleurs pas beaucoup sur elle. Ses amis, ses amours – mon cœur se serra brutalement à l'évocation de cette idée –, sa famille … Penser qu'elle pouvait être heureuse avec quelqu'un d'autre était difficilement supportable pour moi, ainsi, je chassai cette idée de mes pensées. La meilleure façon de ne pas la voir était encore de ne penser à rien.

    Le samedi, Royce me permit de sortir de ma chambre.

    J'utilisai au maximum cette permission ; je fis un rapide tour de la villa, puis, me jugeant assez résistant, fit une petite marche dans les bois environnants. Je dénichai un sentier pour les promeneurs que je suivis jusqu'à ce qu'il disparaisse dans une petite clairière verdoyante, à l'image de la forêt. Elle était entourée par de hauts plateaux de deux côtés, sûrement dus à une faille souterraine. Au centre se trouvait un lac calme sur lequel étaient posés des nénuphars en si grande quantité qu'on le distinguait à peine sous cet amas de verdure. L'herbe haute était fraîche et grasse, et elle côtoyait de nombreuses fleurs rares qui m'étaient inconnues, qui ne devaient pousser que dans cette région. Je m'allongeai dans l'herbe et fermai les yeux pour me reposer dans cet endroit onirique hors du temps.

    Quand je me réveillai, le soleil était déjà dangereusement descendu dans le ciel. Malgré cela, je ne me pressai pas pour deux raisons. La première était que je ne devais pas faire de mouvement brusque au risque de rouvrir ma blessure. La deuxième était que j'étais pleinement heureux. Pour la première fois depuis des mois, je n'avais pas fait de cauchemar. J'avais rêvé. J'avais rêvé d'elle.

    J'ouvris lentement les yeux, un sourire victorieux aux lèvres. Je savais maintenant ce qui m'avait poussé à l'éviter durant tout ce temps. C'était tout sauf de la haine.

    Je l'aimais d'un amour pur et inconditionnel, et cela était irrévocable.

    J'étais bien trop égoïste pour m'éloigner à nouveau d'elle, malgré cela, j'étais prêt à tout pour son bonheur, que ce soit avec ou sans moi. Je devrai en parler à Royce, lui saura quoi faire. S'il est préférable de privilégier la raison ou l'instinct. Le trouble m'avait à présent repris, mais je savais ce que j'allais faire dans l'immédiat : parler à Royce. J'improviserai pour la suite des évènements.

    Je me relevai en faisant attention de ne pas forcer sur mon épaule droite et regardai une dernière fois la clairière avant de me décider à partir. Je mémorisai sa position par rapport au sentier et entamai la longue marche qui me ramènerait à la villa.

     

    ***

     

    J'arrivai à la villa juste avant la tombée de la nuit. Je remarquai que la voiture de Royce était garée dans la cour gravillonnée. Bien, je n'aurais pas à attendre pour lui parler. J'avais réfléchi si intensément à ce que j'allais lui dire pendant tout le retour qu'il relevait du miracle que je ne me sois pas écarté du chemin.

    J'entrai dans la maison par le garage et retirai mes chaussures pour ne pas salir le salon parfaitement blanc. Royce était occupé à lire et signer une pile de documents sur la table du côté de la cuisine.

     

    - Royce, dis-je pour simple introduction. J'ai besoin de te parler.

     

    Il repoussa la feuille qu'il était en train de lire et releva la tête.

     

    - Donne-moi deux minutes. Va t'asseoir sur le canapé, ce sera toujours plus confortable.

     

    Il avait pressenti que ce que j'allais lui dire était important et il me rejoignit dans le salon juste après que je me fus installé sur le canapé. Il prit place sur le fauteuil opposé, croisa les jambes et posa sa main sur son menton dans une attitude très professionnelle.

     

    - Je t'écoute, Jil, dit-il d'une voix posée pour me mettre en confiance.

     

    J'inspirai et expirai plusieurs fois avant de me décider à lui exposer mon problème.

     

    - Je sais que je n'aurais pas dû mais … Au lycée … Je ...

     

    Les mots me manquaient. Le discours que j'avais soigneusement préparé s'était égaré dans un coin de ma tête. Étrange phénomène ; mon esprit était d'ordinaire parfaitement lucide. Tant pis. Royce me comprendrait.

     

    - Une fille m'a … intrigué.

     

    Je m'étranglai sur le mot. L'expression de Royce se modifia très légèrement. Il avait compris et passait en revue toutes les nouvelles combinaisons qu'engendraient ce que je venais de lui révéler.

     

    - Je sais que c'est mal, pour moi et pour elle, mais … Le MI-6 n'aurait pas apprécié que …

     

    Je me perdais en explications. Il fallait mieux que je me taise. Le silence pesant qui régnait sur le salon dura plusieurs minutes, avant que la voix de Royce ne troublât cette quiétude.

     

    - Jil, mon fils, dit-il d'une voix grave.

     

    Il ne m'appelait ainsi que dans de très rares cas et cela était toujours signe d'une importance capitale.

     

    - Ce que tu es ne doit pas te dicter ce que tu dois faire. Fais confiance à ton instinct.

     

    Ce que l'on devrait faire n'est pas toujours la meilleure chose à faire.

    La pensée avait fait écho à la réponse de Royce. Il avait prononcé cette phrase des années plus tôt, quand il m'avait emmené pour la première fois au MI-6.

    L'avenir se dessina alors, plus précis qu'il ne l'avait jamais été auparavant. J'allais devoir racheter mon comportement auprès d'Ashley, peu importe le temps que cela mettrait, j'étais prêt à tout pour veiller sur elle.

    Si je n'étais pas celui qu'elle aimait, je serais au moins son ange-gardien. Elle le méritait amplement.


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