• Farewell: Chapitre 9

    Un groupe d'amis bruyant s'installa à la table frontière entre la mienne et celle d'Ashley, et rompre le contact visuel me fit instantanément retrouver mes esprits. Je bénis celui qui avait eu l'excellente idée de s'installer ici.

    Elle avait toujours le regard rivé sur moi, je compris donc que cette vision avait été très brève, fugitive. En essayant de déchiffrer le bleu insondable de ses yeux, j'eus l'impression qu'elle avait vu ce que j'avais vu – ce qui était totalement invraisemblable.

    Je vidai mon esprit de toute pensée, comme Royce me l'avait enseigné, et retrouvai mon calme. Elle avait détaché son regard de moi.

    Je me maudis en silence – pour la deuxième fois de la journée – de cette ingérence. Je ne devais pas penser à elle de la sorte. Du moins, pour le moment. Je finis rapidement ma salade et sortis de la cafétéria. J'attendrai le début des cours adossé à un mur extérieur – malgré moi – dans une pose digne de figurer sur la couverture d'un magazine de mode.

    Le temps passa très lentement et j'eus alors tout le loisir d'observer à quoi s'adonnaient les lycéens pendant la pause du midi. La plupart des groupes de filles gloussaient en pointant des garçons du doigt (et il arrivait très souvent que je sois montré moi aussi, accompagné des paroles « trop sexy » ou « beau gosse mystérieux »), et les garçons jouaient au basketball sur le terrain prévu à cet effet – je n'essayai même pas de me joindre à eux, j'étais trop peu envieux de me mouvoir de mon mur.

    Je me perdis dans mes pensées jusqu'à ce quelqu'un ne me tire de ma rêverie.

     

    - Jil, dit une voix mal assurée que j'aurais reconnue parmi des centaines d'autres.

     

    Mon nom prononcé par Ashley avait eu l'effet d'une caresse sur moi. J'en frissonnai imperceptiblement et posai mon regard – à travers les lunettes – sur elle.

    Cela m'avait véritablement surpris qu'elle puisse encore me parler après l'attitude que j'avais eue avec elle en cours d'espagnol.

     

    - Désolé pour l'espagnol, m'excusai-je avec une sincérité déconcertante. Je ne me sentais pas bien, mentis-je avec la facilité d'un arracheur de dents.

     

    Il m'en coûtait de ne pas lui révéler la vérité mais j'estimais qu'il était encore trop tôt pour cela.

     

    - Euh, ce n'était pas grave, répondit-elle en rougissant légèrement devant mon jeu sans faille d'acteur. Je t'ai apporté les cours des trois dernières semaines, ajouta-t-elle en brandissant un tas de feuilles excellemment trié. 

    - Merci beaucoup. Je peux te les rendre demain ? demandai-je poliment. 

    - Je … bredouilla-t-elle. Aucun problème, ajouta-t-elle après un silence.

     

    Elle me tendit les feuilles et j'effleurai à dessein le bout de ses doigts sur le papier. Son contact, même très léger, répandit une décharge électrique dans tout mon corps. Elle retira vivement sa main, mais je lui adressai un sourire éclatant révélant une rangée de dents blanches parfaitement alignées et elle rougit à nouveau en marmonnant un « au revoir ».

     

     

    - À demain, lui répondis-je d'une voix merveilleusement contrôlée alors que la sonnerie du début des cours retentissait.

     

    ***

     

    Je fus très peu attentif aux cours de l'après-midi, tellement cette petite victoire personnelle avait pris de l'importance. Si un professeur avait voulu me poser une colle, c'était le moment rêvé.

    Cette victoire ne pouvait m'excuser de ma conduite en espagnol mais constituait un des éléments qui me permettraient de me racheter sur le long terme.

    Je planifiai d'aller le soir-même – après avoir recopié bien qu'inutilement les cours des trois semaines passées – pour la première fois à Seattle. Retrouver les pleines capacités de mon corps m'emplissait déjà d'une sorte de joie indescriptible, que l'on ressentait plus généralement après avoir accompli un effort physique dont on ne se sentait pas capable.

    Je restai dans cette sorte de semi-léthargie jusqu'à la fin de l'après-midi, et quand il fut temps de quitter le lycée, je fus un des derniers à quitter le parking. Je conduisis comme à ma – mauvaise – habitude largement au-dessus des limites de vitesse, mes réflexes surhumains me garantissant une sécurité presque totale.

    Je garai soigneusement mon Aston Martin dans le large garage, à sa place habituelle, et descendit en laissant les clés sur le démarreur. La non-présence de Royce avait créé une sorte de vide dans la maison, bien que je fusse habitué à ses absences répétées pour le service.

    Je montai dans ma chambre aussi vite que je le pus et sortis la pile de feuilles d'Ashley. Je pris la première et la portai instinctivement à mon nez, geste que j'avais volontairement retenu lorsque qu'elle me les avait données, et je sentis son odeur caractéristique. J'eus un éblouissant sourire intérieur et commençai à la recopier à une vitesse normale – c'est-à-dire bien en-dessous de la vitesse à laquelle j'écrivais en temps normal.

    Son écriture en pattes de mouche me fascinait toujours autant, et le soleil était déjà bien descendu sur l'horizon lorsque je remis les feuilles en une pile, dans l'ordre exact dans lequel elles avaient été méticuleusement rangées.


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