Les fourchettes en métal s’entrechoquaient avec les assiettes. Sous la lumière fade de la cuisine, Jane observait ses parents du coin de l’œil, dégoutée de leur inélégance pour manger. Un silence de mort régnait dans la pièce. Seul le bruit aigu des couverts se faisait entendre, accompagné des ignobles bruits de mastication. Sa mère se décida à parler, déliant sa langue comme si communiquer et échanger lui demandait un énorme effort.

- Alors Gérard… comment ça s’est passé au bureau aujourd’hui ?

La mère de Jane, Renée, était une frustrée de la vie. Elle avait un vulgaire quotidien qui se résumait à boulot – TF1 – dodo. Petit à petit, son père avait pris son exemple. Il était passé de France 2 à TF1 lui aussi. Quel amour conjugal profond ! Cette expression ferait toujours rire Jane, même 10 ans plus tard. Ces gens au quotidien sans intérêt, dont leurs seules sorties étaient le supermarché du coin, n’osant pas changer de marque de beurre tant leur peur de l’inconnu était grande, n’avaient jamais fait attention à leur fille. Claire Chazal était tellement plus intéressante. Ils étaient incapables de réfléchir par eux-mêmes, suivant exactement, la bouche ouverte, ce que disait tel ou tel homme politique. Ils vivaient en lotissement et se plaignaient que les maisons ne soient pas toutes exactement pareilles, que le voisin ne tonde pas son gazon. Gérard et Renée étaient 2 français conformistes sans aucune ouverture d’esprit. Ils bougeaient de 80 km à chaque grandes vacances.

- … Bien et toi ?

Eux-mêmes ne s’avoueraient jamais qu’ils étaient des idiots. Ils avaient honte de leur petite vie superficielle mais ils continuaient, parce que, justement, ils étaient stupides-nés. En grandissant, en faisant partie à part entière de leur quotidien, Jane avait pu nourrir cette opinion sur eux. Elle savait qu’elle ne se trompait pas, parce que ça faisait 14 ans qu’elle était avec eux et que, de toute manière, même si elle se trompait ils la dégouteraient toujours. Jane était dégoutée de la vie.

- Bien, merci. Jane tu débarrasseras la table, dit-elle avec un ton glacé.

- Oui. Jane avait adopté un ton tout aussi glacé.

Les parents se levèrent et allèrent s’affaler devant TF1 tandis que Jane nettoyait la cuisine. Elle finit rapidement, remonta dans sa chambre et regarda la pluie tomber en trombe. Elle aimait la pluie.

Sa dispute avec ses parents datait de 10 ans. Elle avait 4 ans, et apportait déjà les ennuis.