• Royce m'autorisa à retourner au lycée à partir du lundi suivant, à la seule condition que je rattrape tout ce qui avait été fait en mon absence. La perspective de recopier les cours des trois semaines précédentes ne m'enthousiasmait pas vraiment, mais ce serait toujours mieux que de rester à la villa toute la journée.

    Le réveil indiquait six heures du matin. J'avais dormi une demi-heure de plus qu'à mon habitude. Depuis que mes cauchemars avaient disparu, je passais des nuits plus agréables. Je dormais toujours aussi peu, mais je n'avais plus d'angoisse à avoir en m'endormant le soir – ou plutôt le matin, ne dormant que quatre heures par « nuit ».

    Je me levai agilement et allai prendre ma douche. Sous l'eau chaude, je réfléchis aux différents moyens d'approcher Ashley aujourd'hui.

    Il était préférable de ne pas lui parler ailleurs qu'en cours pour commencer, elle serait sûrement avec ses amis aux intercours. Je m'arrangerai pour être à côté d'elle en espagnol – je me souvenais avoir au moins ce cours en commun avec elle – et je pourrai l'inviter à ma table à la pause de midi.

    Elle sera sûrement déstabilisée que je lui parle à nouveau – ou plutôt, que je lui parle tout court –, je devrai donc m'excuser de ma conduite passée.

    Je déblatérai intérieurement encore sur ce que je devrai dire ou faire que j'en oubliais que l'horloge ne s'était pas arrêtée et, quand je regardai l'heure, je fus surpris de constater que j'avais passé plus d'une heure sous la douche.

    Je sortis de la cabine et mis mon attelle – la nuit étant le seul moment pendant lequel j'en étais dispensé – ainsi que ma montre, puis j'ouvris le dressing disproportionné qui aurait pu servir à tout un contingent. Je m'habillai en vitesse d'une chemise dont je remontai les manches et d'un jean sobre puis je descendis l'escalier pour déboucher sur le salon – blanc, comme à son habitude. Royce avait laissé un mot sur la table.

     

    « Jil, lis-je, je serai absent cette semaine, je pense que je n'ai pas besoin de t'en expliquer la raison. Officiellement, je suis en mission humanitaire en Afrique du Sud. Nos réserves alimentaires tiendront sans problème, mais si tu as besoin de quelque chose, n'hésite pas à l'acheter. N'oublie pas de faire tes exercices d'assouplissement. Je pense que tu le sais, mais Seattle regorge d'immeubles,

    Royce. »

     

    Bien sûr. Lui n'avait pas oublié le MI-6. Une chance qu'il n'ait pas eu l'audace de me convoquer, moi. La fin de la lettre m'avait fait sourire. Royce pensait vraiment à tout.

    Je pliai le papier, je le jetai dans la cheminée et il se consuma en quelques instants. Détruire tout document compromettant était aussi l'un de nos commandements. Je fis quelques-uns des exercices qu'il m'avait prescrits, plus par envie que par nécessité, puis je m'assis à la table. Royce avait laissé le caviar sorti. J'eus un petit sourire compatissant. Nous aimions le luxe, c'était notre péché mignon. Je m'en fis quelques toasts, puis, estimant qu'il ne me servait à rien de manger plus, je débarrassai la table et m'assis au piano. Mes doigts trouvèrent seuls les accord du « Clair de Lune » de Debussy pendant que mes interrogations de la veille refaisaient surface. Avais-je réellement fait le bon choix ? J'en doutais. Mais je suivrais la voie que je m'étais imposé jusqu'au bout. Je ne pouvais pas reculer maintenant.

    À sept heures trente précises, je fermai la maison et entrai dans le garage. Mon Aston Martin m'attendait sagement à sa place habituelle, les clés sur le démarreur. Je mis le contact et le moteur répondit instantanément en propulsant la voiture sur le sentier qui menait à la nationale.

     

    ***

     

    J'arrivai largement en avance au lycée. Je garai l'Aston Martin dans une partie souvent délaissée du parking – désert, pour l'instant en tous cas – et ouvris la portière. Les rares élèves déjà présents ne furent que surpris de me voir à nouveau au lycée, et je ne rencontrai personne du groupe qui m'avait suivi trois semaines auparavant en me dirigeant vers le bâtiment principal.

    Je pris position dans le hall d'entrée et m'adossai au mur de pierre peint en attendant la sonnerie. Le lycée se remplissait peu à peu et je pus reconnaître plusieurs visages qui faisaient classe commune avec moi en première heure, mais je ne voyais ni Ashley, ni Edward. À l'évocation de ce nom, la réalité me revint brusquement en face : je ne savais pas ce que je devrais lui dire à lui. Je l'avais souvent vu avec elle, il était possible qu'ils soient amis – ou plus, pensa vicieusement une petite voix au fond de moi. Je déglutis difficilement, je devrais l'accepter si cela se révélait être exact. Du moins, pour le premier cas, je le laisserais s'approcher de moi, car je risquais fortement de le voir plus souvent qu'auparavant.

    Edward me ramena au lycée en me donnant une tape amicale sur l'épaule – gauche, bien entendu –, ce qui me fit sursauter.

     

    - Jil ! s'exclama-t-il. Tu es revenu ? Ça va mieux ? 

    - Je ne t'avais pas vu venir, éludai-je. Au fait, merci d'être passé me voir à l'hôpital, me rappelai-je soudainement. 

    - Heureusement que je connaissais le docteur, ils n'auraient pas voulu me faire entrer sinon, répondit-il avec un sourire en coin. Peut-être qu'ils croyaient que je voulais te donner une boîte de chocolats empoisonnés, ajouta-t-il. 

    - Tu ne crois pas si bien dire, marmonnai-je.

     

    Empoisonner un agent secret gênant était une technique basique pour s'en débarrasser.

     

    - Qu'est-ce que tu as dit ? demanda-t-il. 

    - Rien, ce n'est pas important, éludai-je à nouveau.

     

    La sonnerie retentit accompagnée du brouhaha des élèves, rendant toute discussion impossible.

     

    - À tout à l'heure en espagnol, alors, lança-t-il en s'éloignant.

     

    J'avais oublié que j'avais aussi ce cours en commun avec lui. Peu importait de toutes façons, je savais à quel pupitre j'allai m'asseoir.


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